Je cherche dévasté des visages pour m'y loger,
et dans mes hébétudes je croise aussi des cadavres sur le sol de la salle à
manger, proprement étendus sur du plastique transparent.
Si je veux fuir c'est par asphyxie, mais pourtant à l'arrière-plan tout est clair et ordonné comme la
liste des courses, je distingue chaque chose dans sa singularité, tout est encore sur le fil, oui, tout est fragile, oui, je
m'étonne encore à chaque instant de la formidable complexité du monde, et de la
formidable complexité d'une toute petite portion du monde, et d'une toute
petite portion de cette portion.
La première histoire dont je me souvienne est
celle que me racontait ma mère, d'une goutte de miel dont la chute est à
l'origine d'un engrenage menant à une guerre sanguinaire. Depuis l'enfance j'ai
cette faculté de percevoir instantanément l'organigramme des causes et
conséquences dans une simple succession, jusqu'à l'accomplissement, une
évidence, une vision limpide.
La route qui mène chez toi est tellement
étrange et asymétrique que je me suis perdu.
Sur le bas côté je croise un oiseau mort, il
m'appelle, il me parle avec une voix désagréable, il me dit que mon haleine pue
et me conseille de croquer un grain de café. Je lui réponds avec ma main devant la bouche, pour ne pas
l'incommoder, lui qui est déjà si pourri : « Où trouverais-je un grain de
café sur cette route ? » .
Alors l'oiseau mort se retourne dans un
dernier spasme, et de son ventre décomposé s'extrait un insecte brun, à la
carapace fendue dans la longueur comme un grain de café.
Je le saisi et le mange, il explose entre mes
dents, j'ai la bouche pleine de ses entrailles liquides, je marche encore un
peu sur la route mais je sens la peur se répandre en moi comme le poison dans
le sang, je rebrousse chemin.
Depuis, je ne suis plus très sûr d'être rentré
chez moi, je ne reconnais pas vraiment mon appartement, ni la peau des autres
femmes, ni l'odeur de ma propre bouche.