Il fait chaud. On est dans l'eau, on est dans l'humide, dans les milliards de particules. Je les connais bien, les particules. On est dans la torpeur, la vapeur, l'apesanteur. On est dans l'eau. Dans l'eau il y a les savons. Je les connais bien les savons, ils sont bien sculptés, les savons. Ils aiment se faire mousser. Ici ils jouent au balcon, là ils sortent leurs marques en bas-reliefs. Savon de Marseille, savon de ville, savon de province, savon parfumé, savon au beurre de karité, ils aiment qu'on les mate, les savons. La surface propre comme un mur au Ripolin, ils prennent la pause sexy mouillée, bien tendus, quand ils courent à petits pas chercher la balle dans les particules.
J'aimerais tellement être un savon. Avoir l'allure et le parfum, les essences chimiques aux couleurs tape-à-l'œil, le bas-relief bien sorti, avoir une marque de fabrique, une démarche nonchalante et chaloupée, un teint huileux, un œil sûr et la peau qui mousse sous les regards admirateurs et vite conquis. On les mate, ils aiment qu'on les mate, et ils moussent de plus belle.
Je ne suis pas con, et quand on me dit que le savon s'émousse autant qu'il mousse je sais bien qu'on a raison, mais ça n'enlève pas ma tristesse, ça n'efface pas mes regrets, ça n'avale pas ma colère de ne pas être un putain de savon.
Je devrais leur pisser dessus, mais j'arrive juste à mouiller mes godasses, parce que j'ai la vessie usée. Je me dis que j'aurais dû profiter d'avant pour etre un savon, si de toute façon c'est pour finir par me pisser sur les chaussures.
J'arrête. Je repasse par là. On est dans l'eau, heureusement, les milliards de particules je les connais bien. Je sais qu'elles laveront tout ce qui coule de moi, chaque fois que je pleurerai de ne pas être un savon.