Pas une leçon part#2

Alors un soir tu me demandes de te parler de moi et je te parle.
Alors tu t'endors.
Je continue à parler dans la nuit, je te raconte l'histoire de la leçon de philosophie à voix basse, mes mots se dirigent toujours vers toi mais je les sens flotter dans la pièce, ils ne sont aspirés, absorbés nulle part, ils restent là en suspension comme une ouate filandreuse invisible et abstraite, qui se fait et défait dans un mouvement fluide, au fil de ce qui sort de ma bouche, de ce qui persiste et de ce qui s'évanouit.

"Que c'est petit, ce qu'on a "mis au point". L'exprimable dans la clarté de sa pensée. La névrose obsessionnelle de la pensée claire." (Botho Strauss, lors d'un interview)

Je me rappelle d'un extrait de texte de philosophie que je devais analyser. Un de mes premiers. Je n'y comprenais naturellement pas grand chose, mais je sentais là où l'auteur (Gilles Deleuse) voulait emmener, à vrai dire je ne sentais même pas ça, mais je sentais que pour nous y mener, il lui fallait entrer dans des strates complexes du langage et de la pensée, qui s'éloignent de la possibilité d'être exprimée par son texte, justement. Et au milieu de celui-ci, une phrase se délite pour laisser surgir un groupe de quelques mots presque surréalistes, sans rapport apparent, tous chargés du coup d'une forte puissance évocatrice, ce qui confirmait mon impression: pour nous amener là où il le voulait, plus d'autre choix que de prendre ce risque avec son lecteur: abandonner l'explication au profit de l'évocation, quitte à ce que tout le monde ne comprenne plus la même chose, qu'on lâche le fil du raisonnement pour laisser surgir le sens, moins défini, mais dont les contours incertains convenaient mieux au propos.
À cet instant, où j'ai perçu (ou cru percevoir, mais peu importe) que nous laisser déchiffrer ce rébus allait produire simultanément une multitude de réponses différentes et qu'il allait pourtant se dégager une profonde universalité de celles-ci, les ancrages obsolètes du passé et les projections encombrantes du futur s'évanouirent pour faire place à l'absolu présent de l'émergence.


Je peux me tromper, oui mais je peux me tromper, oui mais tromper le monde, louper le coche, gratter un billet de lotterie, tomber à l'élastique, danser maladroitement sur les quais, me tordre la cheville, poser des rustines, souffler dans une bouteille vide, boire un verre d'eau tous les matins, faire un dessin sur une tache de graisse, confondre, oublier.

Draft.