Interstice

Merde les clés, c'est pas le moment, j'allonge la jambe, je déplie le pied, le trousseau rebondit, glisse dans le caniveau, ma main plonge entre les barreaux, trop serrés, mes doigts, merde, coincés, l'heure tourne, mes deux bagues, c'est ça qui coince, pour les clés c'est foutu, je sens du bout du majeur la pelote de tissus du porte-clés, il glisse encore, vers les profondeurs, ça fait un plof, je me dis c'est entre le plouf et le flop, je pousse sur mes jambes pieds talons, je sue, cette voiture voudrait se garer, oui mais je suis là, attention, je sue, je dois remonter mes lunettes, le type klaxonne huit fois. Le plouf et le flop je trouve ça drôle, je ris, mais nerveusement et très fort, cette femme s'arrête à ma hauteur sur ses talons aiguilles, elle dit "du savon de vaisselle", je dis que je n'en ai pas sous la main, elle dit "c'est sur votre main qu'il faut en mettre, pour que ça glisse", je me dis que tout glisse aujourd'hui, sauf ma main, la femme se penche, quel parfum s'échappe de ce mouvement, son chemisier ample à l'impudeur du troisième bouton ouvert, j'ai de plus en plus chaud, mes lunettes glissent encore, elle a un léger accent, je commence à avoir sérieusement mal aux doigts, ils sont gonflés, c'est très inconfortable et pourtant j'ai une érection, je perds mon regard dans l'espace de chair entre les trois boutons, elle s'en rend compte, m'écrase la main de son haut talon, je veux m'excuser dans mon râle, doigts coincés, nez glissant, queue tendue, corps tordu, clés perdues, la femme se casse, le type repasse, Klaxons, il décide de se garer coûte que coûte, à quelques centimètres de ce qui reste de ma main, je dois me plier quand il ouvre la portière, il lâché un juron, claque, la moitié de moi sous la voiture, il commence à pleuvoir.